Anna se plaisait à ce spectacle sans cesse renouvelé, mais toujours
attrayant. Aussitôt que les occupations du ménage lui laissaient un peu
de répit, elle prenait un livre et se rendait sous les gros noyer. Là, assise
sur un banc que lui avait fabriqué le père Bouet lui-même, elle passait
de douces heures en tête-à-tête avec ses auteurs favoris ; ou bien, abandonnant sa lecture, elle laissait errer sa pensée au milieu des nuages du
souvenir et se perdait dans de longues rêveries.

Ces retours vers le passé avaient pour résultat invariable de la plonger
dans une vague mélancolie, dont elle ne se rendait pas bien compte ellemême. Et, chose étrange, cette enfant qui n’avait jamais connu son propre
père, qui ne possédait de sa mère qu’un portrait-miniature grand comme
l’ongle, se prenait alors à désirer passionnément de les voir, à éprouver
pour eux une invincible tendresse. Quelque chose d’innommé s’agitait
dans son âme, qui lui disait que ses mystérieux parents vivaient encore et
qu’un jour ils lui seraient rendus.

Elle s’absorbait si complètement dans
cette illusion, se repaissait si souvent de cette chimère, qu’elle en arrivait
à se faire de son père une idée arrêtée et à lui donner une figure parfaitement distincte des autres figures connues ; quant à sa mère, elle se croyait
sûre de se la représenter exactement, grâce au médaillon qu’elle portait
toujours à son cou, et, s’imaginait sincèrement avoir déjà vu ses traits.
Mais, hélas ! la pauvre enfant n’était pas aussitôt revenue au monde

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