Beaucoup de feuillets que je tourne vite, sans même les parcourir :
ceux où j’avais arrangé, changé les faits avec plus ou moins de maladresse, pour les besoins du livre ou pour mieux dérouter des recherches
indiscrètes. Puis voici nos derniers jours d’Eyoub, avec le déchirement
du départ, tandis que le printemps revenait une fois de plus sur le vieux
Stamboul, semant par les rues tristes les fleurs blanches des amandiers.
Et maintenant, la fin, tout ce passage imaginaire d’Azraël que j’avais ajouté,
non pas seulement parce qu’il me semblait, avec mes idées d’alors sur
les histoires écrites, qu’un dénouement était nécessaire, mais bien plutôt parce que j’avais ardemment rêvé, pour nous deux, de finir ainsi.
Oh ! je me rappelle, je l’avais composé de mes larmes et de mon sang,
ce dénouement-là, et, bien qu’il soit inventé, il a été si près d’être véritable, que je le relis ce soir, après tant d’années, avec un trouble que je
n’attendais plus, un peu comme on relirait, outre tombe, la page suprême
du journal de la vie.
Eh bien ! la vraie fin reste mystérieuse encore, et je tremble en songeant que je la connaîtrai bientôt, que je pars demain pour aller remuer
là-bas toute cette cendre.
Quant à la vraie suite, tout simplement la voici :
Non, je ne sais plus rien d’elle. Je ne base sur rien cette conviction à
la fois douce et infiniment désolée, que j’ai de sa mort. Peu à peu, notre
histoire d’amour s’est arrêtée, mais sans solution précise ; notre histoire
à deux s’est perdue, mais sans finir.