Le 5 octobre 1730, je fus présenté au prince, au roi et à la reine, à
Kensington. La reine, après m’avoir parlé de mes voyages, parla du théâtre
anglais ; elle demanda à milord Chesterfield d’où vient que Shakespeare,
qui vivait du temps de la reine Elisabeth, avait si mal fait parler les femmes
et les avait fait si sottes. Milord Chesterfield répondit fort bien que, dans
ce temps-là, les femmes ne paraissaient pas sur le théâtre, et que c’était de
mauvais acteurs qui jouaient ces rôles, ce qui faisait que Shakespeare ne
prenait pas tant de peine à les faire bien parler. J’en dirais une autre raison : c’est que pour faire parler les femmes, il faut avoir l’usage du monde
et des bienséances. Pour faire bien parler les héros, il ne faut qu’avoir
l’usage des livres. La reine me demanda s’il n’était pas vrai que, parmi
nous, Corneille fût plus estimé que Racine ? Je lui répondis que l’on regardait ordinairement Corneille comme un plus
grand esprit, et Racine
comme un plus grand auteur.