Mille francs, cela veut dire : plus de froid, plus de faim, plus
de honte ; mais, au contraire, aisance, bien-aise, travail, dignité, dessouci
de l’avenir. Mille francs ! c’est à en perdre la tête. Avec quelle passion
je partageais cette somme, comme j’en distribuais savamment l’emploi !
« Je payerai ici, je payerai là, j’achèterai ceci et cela, ce meuble, ces livres
dont j’ai tant besoin, etc. Comme je vais être tranquille, comme je vais
travailler ! Ah ! c’est trop de bonheur en une fois. » Cela est assurément
fort misérable ; mais je répète qu’on ne sait pas assez combien la gêne
perpétuelle, la misère et même souvent l’éducation, rapetissent l’esprit et
dérangent le moral d’un individu.
Pour jouir en paix de ma fortune, j’avais à combiner l’intrigue de toute
une longue comédie. Je pouvais éveiller des soupçons par un surcroît de
dépenses, puisqu’on me savait pauvre. Il fallait qu’aux yeux de mes amis
je vécusse comme par le passé avec les apparences de la misère.
Le change du billet n’était pas ce qui m’embarrassait le moins. Il était
possible que la Turpin eût été faire sa déclaration à la préfecture de police,
et que de là fût parti un avertissement à tous les changeurs.