Alors, il ferait beau voir qu’un bienfaiteur de l’humanité
n’eût pas voix au chapitre. Donc, toi, ma femme, toi ma fille, prière de ne
pas m’interrompre. Notre assassin sera bien défendu, l’on ne peut mieux
défendre. J’ajouterai même fièrement défendu. Noblesse oblige. J’ai fait la
guerre de 70. Je suis presque un ancien cuirassier de Reichshoffen, moi.

À d’autres de mendier la pitié de douze jurés qu’ils ne connaissent ni d’Ève,
ni d’Adam. La veuve et l’orphelin. Mais d’abord, nous ne sommes ni la
veuve, ni l’orphelin. Nous sommes même le contraire. Et je m’en félicite.

Les larmes, les voiles de crêpe, les bijoux de jais et les divers affiquets du
grand deuil, tout cela, nous l’abandonnons et de bon coeur à la concubine
plus ou moins légale, au rejeton de l’assassiné. Ce rasta, ce juif qui osait
porter un corset et se donner des airs d’officier de cavalerie en pleine affaire Dreyfus, ce sauteur qui frisait la

correctionnelle à tous les coins de
rue, avec ses souliers vernis, ses guêtres saumon, ses cravates cuisse de
nymphe émue, ses gilets vert pomme, son monocle et ses tonneaux de

brillantine sur la tignasse pour jeter de la poudre aux yeux des gogos,
entre nous, les six balles dans sa peau vireuse, il ne les avait pas volées.
J’ai été bon premier à le dire : il était une vraie bête malfaisante, un mandrin de la finance. Sa nuque appelait le maillet

du toucheur de bœufs ; sa
tempe, le revolver et sa poitrine, le surin. Voilà d’ailleurs qui ne saurait
excuser ton mari de n’avoir pas compris que le fait d’appartenir à certain
milieu veut qu’on laisse à d’autres le soin d’exécuter certaines besognes.

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