Les troupes de la ville arrivèrent, et puis ce furent les troupeaux d’ouvriers et de paysans qui descendirent des trains. On les revêtit d’uniformes, on leur distribua des armes. Au dehors, les grandes routes se remplirent d’enfants et de mères qui mendiaient. Les jeunes filles se prostituaient presque pour rien. Sur l’horizon, les donjons des usines cessèrent
de flamboyer pour la première fois depuis trente ans.
Le boulevard de
la ville était plein d’activité parce qu’on avait joué à la baisse des fonds
publics, dans les palais des Compagnies d’assurances, Sociétés métallurgiques et banques de crédit. Les hommes d’argent rachetaient déjà en
sous-main les titres de rente afin de les revendre, avec prime, dès l’annonce du premier avantage.
Pour obtenir ce premier avantage que les dépêches grossiraient habilement, les maréchaux se hâtaient de réunir des hommes sur ce point de
frontière. On les arrachait des mines et des sillons. Les fanfares sonnaient.
Les drapeaux claquaient.
Les actrices en robe blanche, drapées dans les
couleurs nationales, chantaient en plein vent, sur des tréteaux construits
à la hâte, l’Amour sacré de la Patrie. Et les hommes rouges du sol ferrugineux défilaient par masses énormes, remplissant de leurs corps l’espace
trop étroit des rues.
Les administrateurs des Compagnies ordonnèrent
qu’on défonçât des tonneaux de piquette pour échauffer l’enthousiasme.
Il s’agissait d’enlever ce précieux avantage, de faire prime sur le marché…
Florian D’ABLON –
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